Les agents immobiliers soumis à des obligations de formation
Ça y est, le plus important décret d'application de l'ALUR vient de paraître au Journal officiel, près de deux ans après la promulgation de la loi. Il crée les conditions de la formation continue obligatoire des professionnels de la transaction et de la gestion immobilières, dont le principe avait été posé par la loi du 24 mars 2014, inspirée par Cécile Duflot, alors ministre du Logement. Pourquoi prétendre que ce texte règlementaire concis, qui tient sur une page - une fois n'est pas coutume - est majeur ? Parce qu'il va garantir que les agents immobiliers et les administrateurs de biens, gestionnaires locatifs et syndics de copropriété, actualisent leurs compétences et apportent ainsi un meilleur service aux ménages français.
On ne peut nier que ce dispositif, que les organisations patronales du secteur elles-même ont appelé de leurs vœux, contribue à améliorer les performances et la qualité du corps professionnel dans son ensemble. On ne peut nier non plus qu'il y ait à la clé un renouvellement d'image fondamental, dont ces professions avaient un criant besoin... Toutes les enquêtes révèlent que l'opinion est sévère dans son appréciation de ces professionnels qui ont pignon sur rue et qui sont familiers aux familles. Surtout, au-delà de la proximité, ces métiers sont utiles sinon indispensables aux Français pour leur patrimoine, ses arbitrages et sa valorisation. Qualifier le corps professionnel ressortit à une cause nationale, n'ayons pas peur des mots.
Que dit le texte et que ne dit-il pas ? Il dit que désormais, à partir du 1er avril prochain, un professionnel ne pourra pas obtenir le renouvellement de son autorisation d'exercer, quel que soit son statut, dirigeant, collaborateur salarié ou encore agent commercial indépendant, s'il ne produit pas la preuve qu'il a suivi au moins deux jours de formation par an. L'accomplissement de cette obligation sera appréciée par la Chambre de commerce et d'industrie dont le professionnel relève, responsable de la délivrance des cartes professionnelles, pour la période de trois ans qui précède la demande, puisque la carte a une validité triennale. les colloques professionnels, les congrès, pourront compter pour deux heures maximum par an, comme les enseignements dispensés, à raison de trois heures par an.
C'est bien. Il faut comprendre que cette obligation va enclencher un mouvement vertueux, et que les professionnels vont regarder autrement l'acte de se former. Oui, leur regard devait évoluer : ils étaient trop nombreux, pris dans le tourbillon de l'activité, à considérer la formation superfétatoire et surdérogatoire, pour eux-mêmes autant que pour leurs préposés. Le décret de dimanche va amorcer un élan favorable et tracer un cercle vertueux. Il va aussi, en créant un marché considérable, rendre la formation plus accessible financièrement. Il faudra néanmoins se garder du dumping, qui fait courir le risque de la dégradation à court terme.
Précisément, ce sont les silences du décret que les professionnels, réunis au sein du Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières avaient identifiés dans le projet présenté à la fin de 2015 et qui les avaient choqué. Sur quoi le texte fait-il l'impasse ? Aucune exigence particulière pour les organismes de formation, en-dehors de l'habilitation administrative à former. Aucune précision sur le contenu de ces journées de formation, à l'exception de l'énumération des principales matières. Pas non plus de prescription quant aux modalités et à la place du distantiel par rapport au présentiel. Bref, un décret peu coercitif. Le CNTGI avait refusé son onction, et s'était même abstenu dans un premier temps de formuler un avis sur le texte, à cause de ces manques.
Finalement, n'est-ce pas mieux ? La crainte des fédérations, légitimes, consiste à redouter la fumisterie : des acteurs peu scrupuleux de la formation pourraient bien se jouer des professionnels immobiliers, en proposant des modules de piètre qualité, dispensés par des formateurs incompétents. Mais fallait-il attendre du pouvoir règlementaire qu'il tranche cette question ? Il ne peut pas le faire au titre de l'égalité à ménager entre les organismes, et en outre le marché de la formation continue des agents immobiliers et des gestionnaires ne doit pas se cartéliser. A la guerre comme à la guerre : il appartiendra au marché de sécréter ses anti-corps, de mesurer la valeur ajoutée et de marginaliser les acteurs ne présentant pas les garanties de sérieux nécessaires. La réputation d'une enseigne de formation, les curriculum vitae des formateurs sont des critères de choix de bon sens. Quant aux contenus, comme on sait sélectionner un restaurant sur la complétude de sa carte, on saura bien apprécier si un programme est exhaustif des disciplines essentielles, dont la déontologie - expressément citée dans les matières à enseigner -, et de l'actualité juridique, civile et fiscale d'ailleurs, technique et commerciale.
Bref, ce qui s'est passé dimanche avec l'avénement de ce décret sur la formation continue est historique et fait prendre aux professions immobilières le virage de la compétence durable. C'est enthousiasmant pour les consommateurs comme pour les professionnels de la transaction et de la gestion. Au demeurant, le couple que constituent les deux parties devrait s'en trouver plus heureux et la suspicion des premiers envers les seconds devrait le céder à l'estime.
Un détail singulier : le décret n'associe pas à cet enthousiasme la ministre du Logement, et n'est cosigné que du Premier ministre, du garde des sceaux et du ministre de l'Economie. Nul doute que Madame Cosse s'en réjouit aussi : de la fiabilité du corps professionnel dépend la confiance des Français dans l'immobilier.